FERNAND BALDET

(1885-1964)

par CH. BERTAUD

(Observatoire de Meudon)

 

La France vient de perdre en la personne de Fernand Baldet l’un de ses savants les plus éminents. Né le 16 mars 1885, il s’est éteint à l’âge de 79 ans, le 8 novembre dernier, après une courte maladie.

 

Dans sa jeunesse il fut dessinateur créateur en joaillerie et orfèvrerie, exécutant lui-même ses modèles. Sa maîtrise lui valut le titre de Premier ouvrier de France (l’équivalent à l’époque d’un prix de Rome). Il poursuivit ses études et en 1907 il obtint le diplôme d’études du Conservatoire des Arts et Métiers dans le laboratoire du physicien J. Violle.

 

Il fit en même temps ses premières études d’astronomie et la Société Astronomique de France l’admit au nombre de ses membres dans la séance du 6 juin 1903. C’est donc un de ses plus anciens sociétaires qui disparaît. Pour récompenser la fidélité et l’intérêt qu’il lui avait toujours témoignés, elle lui avait décerné, en 1963, la Médaille du Soixantenaire.

Les observations qu’il entreprit alors à l’observatoire de la rue Serpente révélèrent rapidement ses dons exceptionnels. Elles le firent connaître du spécialiste des éclipses solaires, A. de la Baume Pluvinel, qui le prit comme assistant en 1905 et l’emmena cette même année pour observer, en Espagne, l’éclipse totale du 30 août.

La période qui suivit, jusqu’en 1911, alors qu’il continuait à travailler avec A. de la Baume Pluvinel, fut très laborieuse et aussi très fructueuse. A cette époque commencent en effet ses observations et ses recherches sur la physique des comètes, domaine dans lequel il devait passer maître. En 1907, il obtenait au prisme-objectif le spectre de la comète Daniel et l’année sui­vante à l’Observatoire de Juvisy, avec Quénisset, toute une collection de photographies et de spectrogrammes de la remarquable comète Morehouse.

D’autre part, il fut l’un des premiers astronomes à travailler à l’Obser­vatoire du Pic du Midi alors que les conditions de vie y étaient encore très dures. Au cours de deux campagnes, en 1909 et en 1910, il réussit plus de I 300 images de la planète Mars dont la plupart sont excellentes.

Malgré ce programme déjà très chargé, il poursuivait ses études supé­rieures à la Faculté des sciences de Paris. Il les terminait en 1910 avec le grade de Licencié ès Sciences physiques et, en 1911, il entrait à l’Observatoire de Paris en qualité de stagiaire et se familiarisait très vite avec les méthodes de l’astronomie de position.

En 1912, il partait pour l’Observatoire d’Alger où il était nommé assis­tant, puis aide-astronome. Durant les dix années de son séjour en Algérie, il partagea son temps entre la direction du Service Méridien que lui confia F. Gonnessiat, des observations de géophysique sur le magnétisme terrestre, l’électricité et les parasites atmosphériques, et des recherches spectrosco­piques au laboratoire de la Faculté des Sciences d’Alger.

Ses observations au grand cercle méridien de l’Observatoire d’Alger aboutirent à l’exécution d’un Catalogue d’Etoiles fondamentales. En 10 ans il effectua plus de 22 000 observations sur les 23 662 qui ont servi à obtenir les positions précises de 872 étoiles cataloguées, ceci par des méthodes stric­tement fondamentales. Chaque étoile étant, en général, observée plus de vingt fois, et les circumpolaires, bien davantage, souvent plus de cent fois. On aura une idée de la valeur de ce catalogue si l’on songe que sa discussion par le Rechen-Institut de Berlin et l’Astronomical Institute de Leningrad a conduit ces deux organismes à lui attribuer le poids 10, tandis que des poids allant de 1 à 4 seulement étaient donnés aux autres catalogues fondamentaux exécutés à l’étranger, à la même époque.

A l’Observatoire d’Alger il fit également des observations régulières du Soleil et de la Lune. Il assura aussi le service de l’Heure (observations méri­diennes, réception des signaux horaires et distribution aux usagers). Il mesura visuellement pendant plus d’un an (1912-1913) à l’équatorial coudé les positions de nombreuses petites planètes et surtout des comètes, car il envisageait de plus en plus de se consacrer à l’étude exclusive de ces astres.

 

Il avait entrepris, dans cette idée, au laboratoire de la Faculté, une série de recherches sur les spectres de bandes donnés par les gaz raréfiés sous l’effet d’un bombardement électronique, en vue d’identifier précisément les radiations qu’il avait photographiées dans les comètes.

Au cours de ses recherches spectroscopiques, il employa des électrons lents et fut amené à construire lui-même dès la fin de 1912 un tube contenant 3 électrodes une cathode incandescente, une anode, les deux étant séparées par une grille dont il pouvait faire varier le potentiel à volonté. Malheureu­sement ces expériences avec le nouveau tube à 3 électrodes ont été inter­rompues par la guerre de 1914 et ce dispositif qui devait avoir tant d’impor­tance dans l’avenir ne fut pas publié.

Il  devait poursuivre ces expériences à l’Observatoire de Meudon car, en 1922, il quittait l’Algérie pour être nommé aide-astronome à l’Observatoire de Paris et détaché à Meudon. Il y prépara sa thèse de Doctorat qu’il soutint en 1926. Elle exposait l’ensemble de ses recherches sur la constitution des comètes et les spectres du carbone. Entre autres résultats, il était parvenu à obtenir le spectre des queues de comètes avec une grande intensité en bombardant de l’oxyde de carbone à basse pression avec des électrons émis par une cathode incandescente de tungstène. Il donnait les longueurs d’onde précises de ce spectre qui reproduit très exactement celui des queues de comètes avec les intensités relatives des bandes, leur pureté et les diverses particularités qu’elles comportent.

Il  découvrit, au cours de ces expériences, un nouveau spectre de bandes du carbone qui porte maintenant le nom de «Groupe Baldet-Johnson ». Enfin l’étude complète de 27 comètes lui permit de dresser la liste des radia­tions communes, observées avec certitude, parmi lesquelles figure le fameux groupe à 4050 Å qui devait faire, par la suite, l’objet de nombreuses recherches pour être finalement identifié avec la molécule triatomique du carbone.

Tout le reste de sa carrière devait s’écouler à l’Observatoire de Meudon. En 1928 il fut nommé astronome-adjoint et en 1938 astronome-titulaire. Sous la direction de H. Deslandres, il fit construire la Table équatoriale avec sa coupole de 11 mètres de diamètre et son plancher mobile, laquelle est toujours en service. Il y plaça divers instruments chambres photographiques, nouveau prisme-objectif à rotation pour comètes, lunette de 32 cm d’ouver­ture, objectif spécial de 17 cm d’ouverture et de 17 cm de longueur focale destiné à l’équipement d’une caméra pour l’étude des mouvements rapides des gaz dans les queues cométaires. Il installa également un laboratoire de spectroscopie avec générateur à tension constante de 125 000 volts et tubes spéciaux.

Il est malheureusement impossible dans cet article de citer toutes les observations auxquelles il se livra sur les comètes, les planètes et les novae, non seulement avec ces instruments, mais aussi avec la Grande Lunette de l’Observatoire de Meudon. Avec ce dernier instrument il obtint plus de 6o dessins complets de Mars pendant l’opposition de juin à octobre 1924 (L’Astronomie, janv. 1925, p. 34-35) qu’il devait comparer aux photographies de Mars prises à l’Observatoire du Pic du Midi en 1909-1910 pour mettre en évidence les changements de la surface de cette planète. Toujours à la Grande Lunette de l’Observatoire de Meudon, avec des forts grossissements il recher­cha des comètes passant relativement près de la Terre en vue d’étudier le diamètre du noyau. Il donna une valeur probable d’environ 400 mètres pour les noyaux des comètes Pons-Winnecke (1927 c) et Schwassmann­-Wachmann (3) (1930 d).

Il poursuivit des observations spectroscopiques de Nova Herculis 1934 et enfin ses observations photométriques de la tête des principales comètes par la méthode extrafocale. On lui doit également une Liste générale des comètes de l’origine à 1960 et un Catalogue général des orbites de comètes de l’an - 466 à 1952 qui comporte 763 comètes.

L’importance de ses travaux lui valut d’être choisi par l’Union astro­nomique Internationale en 1935, comme Président de la Commission 15 sur l’Etude physique des comètes. Il garda cette présidence jusqu’en 1952. Membre de nombreuses sociétés scientifiques, il professa aussi à la Sorbonne de 1928 à 1936, traitant des questions essentielles sur l’astronomie de position et l’astrophysique.

Depuis ses premières recherches de sensitométrie dans le laboratoire de A. de la Baume, il portait un vif intérêt à la photographie et à ses multiples applications. C’est à ce titre qu’il présida la Société Française de photographie et de cinématographie de 1946 à 1949 et qu’il fut amené à composer un révé­lateur encore utilisé dans les laboratoires de photographie sous le nom de «révélateur Baldet s.

Jusqu’en 1955, il dirigea le Service de Physique cométaire de l’Observa­toire de Meudon. Son activité ne s’arrêta pas au moment de sa mise à la retraite. Il continua à prêter son concours bénévole, notamment pour l’observation des comètes exceptionnelles. Ce fut le cas de la comète Mrkos en 1957. Il publia sur son spectre une note (C. R. Acad. Sc. 2 sept. 1957, t. 245, p. 923-924) qui montre la nature différente des deux queues de cette comète.

Membre du Bureau des Longitudes depuis 1946, il participait aux séances avec assiduité et on lui en confia le secrétariat pendant plusieurs années. Tous les ans figurait dans l’Annuaire du Bureau des Longitudes un article important de lui sur les comètes dans lequel étaient réunies les principales observations effectuées sur chacune d’elles. Tous les quatre ans, dans le même annuaire, il publiait un article sur les météores. Son dernier travail comporte précisément une étude étendue sur les météores, météorites, micrométéorites, etc., qui vient d’être publiée dans l’Annuaire pour 1965.

Tout au long de sa carrière d’astronome, en s’acquittant des tâches multiples qu’il devait accomplir, il n consacré une partie de son activité à la Société qui lui était particulièrement chère la Société Astronomique de France. Ses nombreux articles dans L’Astronomie, le livre V de l’édition refaite de l’Astronomie Populaire de Camille Flammarion qu’il rédigea, en sont le témoignage. Après avoir assuré le secrétariat pendant plusieurs années, il fut élu président le 14 juin 1939, à la veille de la deuxième guerre mondiale. Il devait conserver cette présidence jusqu’en 1946 dans les condi­tions difficiles et délicates créées par l’occupation. Il ne ménagea pas sa peine pour que la Société survive. Il eut la satisfaction d’en être récompensé par le prix Janssen en 1946 et par la grande plaquette du Centenaire de Camille Flammarion en 1962. Il avait déjà obtenu le Prix des Dames en 1927 et celui de Camille Flammarion en 1934.

En terminant la relation incomplète d’une vie aussi bien remplie, il me reste à exprimer mes sentiments d’affection et de gratitude pour celui qui fut mon maître et dont l’affabilité et la grande bonté sont connues de tous ceux qui l’ont approché.